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Étudions son tableau « Les paysans de Flagey revenant de la foire »...
1 : Le chemin de Flagey à la foire de Salins :
La foire aux bestiaux se déroule sur le Champs de foire, Il fallait-être paysan riche pour s’y rendre car il s’agit d’une véritable expédition.
Une journée complète pour y descendre, une nuit à l’auberge sur place, un lendemain matin de foire, un départ chargé en milieu d’après-midi pour atteindre Coulans-sur-Lison au soir, une nuit passée au village puis un départ au petit jour pour enfin rejoindre Flagey.
Concernant le retour : imaginez ne pas être encombrés par de lourdes charrettes, vous sortirez de Salins en direction de Nans-sous-Sainte-Anne, arrivé au col vous bifurquerez à gauche par la Languetine, vous passerez Alaise, le pont de Chiprey puis Coulans-sur-Lison.
De là, vous emprunterez le chemin de la Côte pour Amancey (que vous atteindrez par son actuel ‘’chemin de Coulans’’) puis Flagey.
Depuis les celtes, le chemin le plus court et sans fortes pentes pour aller des sources salées de Salins aux sources sacrées d’Ornans est le même.
2: Gustave et Coulans-sur-Lison :
Gustave (un frère et cinq sœurs) est le fils de Régis (marié à Suzanne Sylvie Oudot, fille de Jean Antoine dont la devise est « Crie fort et marche droit ! »). Son grand-père est Claude Louis (décédé en 1882 à 103 ans) qui avait un frère : Claude François (1744-1805).
Ce dernier a mis au monde (avec l’aide de son épouse) Jeanne Batiste Cécile (1788-1862).
Laquelle se marie avec Jean Pierre Bordy (1782-1848) le 25 août 1807 lors d’une somptueuse cérémonie en l’église du village.
Gustave a donc en 1850 comme cousins et cousines à Coulans : Jeanne Pierrette Emilie, Alexis Flavien, Jean Constant et Jeanne Josèphe Eugénie, toutes et tous mariés à des rejetons de Coulans-sur-Lison nommés Demontrond, Bordy ou Bérion.
En 1850, Gustave est chez lui à Coulans où la grosse ferme Bordy est familiale ainsi que l’illustre auberge Demontrond.
Imaginons que c’est ici qu’il pose son sac à dos lorsqu’il veut peindre la source du Lison ou le gour de Conche.
(On dit que Gustave avait une ‘’affection immodéré pour son pays’’, il est probable qu’il se soit rendu au paradis minéral qu’est la vau de Coulans.
Où sont ces tableaux ?
Avaient-ils tant de valeur aux yeux de l’artiste qu’il ne les ait jamais vendus, les a-t-il brûlés avec tant d’autres lorsque pour lui c’était ‘’fini’’ en Suisse ?).
3: La date du tableau :
En 1850, les fermes du plateau (comme celle de Flagey) sont de petites mines d’or, toutes les productions trouvent acheteur, la demande écrase l’offre.
Les grains descendent à Besançon pour embarquer sur le Doubs, les animaux et alcools sont destinés aux montagnes, le périssable alimente les vallées industrieuses d’Ornans et Nans-sous-Sainte-Anne.
Dans les vallées comme en montagne, le déficit alimentaire est chronique, accentué en vallées par la culture des vignes, en montagne par le climat.
C’est à cette époque que le modèle de pluri-productions agricoles va s’effondrer au profil de la mono-production laitière, les villages ont saturés l’espace disponible, 1/3 cultures, 1/3 champs et 1/3 de bois décimés par les salines et les charbonniers.
Depuis longtemps, les fermes du plateau sont tenues par des familles aisées et cultivées, mais ce retour de foire sonne en réalité comme un glas.
Le coup de grâce sera donné par l’arrivée du tacot, la population des villages alors à son paroxysme va bientôt s’effondrer. 
Les investissements conséquents que les exploitations agricoles font aux foires de Salins n’y changent rien, qu’il s’agisse d’une paire de bœufs ou d’une charrue Garnier d’Eternoz.
En l’espèce, pour être vendu en foire, les animaux ne doivent plus être allaitants ou allaités.
Il est possible que la scène se situe donc en fin d’été, ce qui semble confirmé par l’état de la végétation apparente sur le tableau.
En 1850, la foire aux bestiaux de Salins se tient le troisième lundi du mois.
Proposons donc celle du 16 septembre 1850.
On dit que la scène se déroule à la nuit tombante, si le tableau retrouvait ses couleurs d’il y a 170 ans, il se pourrait que l’on constate qu’en réalité nous sommes ici à l’aube.
De plus, l’arrière-plan pointe la direction sud-est, là où le soleil se lève chaque matin sur notre beau village.
Disons que nous sommes le mardi 17 septembre 1850 à environ sept heures du matin.
4: Les personnages :
Gustave emprunte les visages de ses connaissances pour orner ses tableaux.
Huit personnages figurent sur la toile.
Cinq sont mis en avant et quatre sont effacés.
Le personnage central est son papa Régis, derrière se tient Josette d’Arbon une voisine de Flagey, celle qui porte un panier peut être une de ses sœurs.
Sur le tableau, le visage sombre de Régis semble indiquer que ses pensées sont taraudées par les bouleversements économiques qu’il constate aux foires, il a conscience d’assister à la fin d’un monde.
5: L’emplacement du chevalet :
On est ici au village de Coulans-sur-Lison, le chemin monte et commence une courbure car c’est le début du chemin de la cote (rebaptisé depuis chemin des vignes), il traverse les cultures pour rejoindre le plateau dont fait partie Flagey.
On constate à l’arrière-plan une butte herbeuse, ce monticule où la marne dense a résisté à l’érosion est celle de Coulans, et au fond, ce sont les coteaux dominants Eternoz qui mènent au plateau d’Amancey.
Le groupe s’apprête justement à grimper ce dénivelé.
 
Projetons-nous vingt et un ans plus tard, Gustave est en prison, on tremble à Coulans-sur-Lison…
 
C'est le 25 août 1807, en l'église de Coulans, que Claude Louis Courbet avec son petit Régis
(garçon de neuf ans à l'époque et qui deviendra douze ans plus tard le père de Gustave Courbet) assistent au magnifique mariage de Jeanne Baptiste Cécile Courbet (sa nièce qui a 18 ans) et de Jean-Pierre Bordy (qui a 25 ans depuis la veille, l'enfant du village, fils aîné d’Antoine qui assura la protection des prêtres réfractaires et disparu pendant la révolution).
Le couple donnera naissance à dix enfants dont quatre survivront parmi lesquels Alexis.
L’immense famille est réunie et la fête fut grandiose, on ne pouvait imaginer que quelques décennies plus tard, on allait drôlement déchanter !
Dans la grande maison familiale, à l'entrée du village, un soir d'avril chez les Bordy …
 
Alexis (dit Flavien, le père) rentre de son labeur et se sert direct un pruneau :
« J'viens d'avoir des nouvelles d'la famille de Flagey, y paraît qu'le Gustave à abattu la colonne Vendôme à Paris !».
Apollinaire (le fils de 13 ans) : «C'est quoi cte colonne fantôme ?».
Constance (la fille de 11 ans) : «Vendôme, c'est un monument pour la gloire de Napoléon».
Alexis : «Et pis y vient d'se faire élire à la commune et vlatipas qui d'mande à c'qu'on conserve c'qui reste comme d'l'œuvre d'art ! Paraît qu’y-avait foule de communards et fanfare pour accompagner la Marseillaise».
Gustine (8 ans) : «La quoi ?».
Alexis : «la Marseillaise, c'est la chanson des rouges, les meneurs d'ces émeutes».
Euphasine (la mère) : «Ben-ça, ça m'étonne pas d'lui, dire qu'ici l'a jamais empoigné un outils, l'aurait mieux fait d'continuer à courir tous les jupons en même temps d'par ici avec tous les sous d'ces tableaux !».
Alexis : «Faut pas rigoler, c'est qu'y risque le conseil de guerre, surtout qu'la statue de l'Empereur s'est décapitée en tombant !, à mon avis ça va très mal finir toute cte violence...».
Euphasine: «ça y est, on est foutu, on s'ra pas assez dans la famille à s'ruiner pour tout payer !, le jour où la Claudine Reudet de Flagey a présenté cte Cécile à ton grand-père Jean-Pierre (paix ait son âme), elle aurait mieux fait d'se casser une jambe !».
La petite Cécile (6 ans), après avoir récité sa prière, avait les yeux grands ouverts au fond du lit et se blottissait contre ses sœurs. Elle ne comprenait pas tout de la bruyante discussion que papa et maman continuaient à la cuisine.
Elle avait froid dans le dos en pensant au fantôme qui prend les sous en chantant la mayonnaise rouge…
 
 
Au fait, avec un grand-père maternel qui a pour devise « Crie fort et marche droit » et toute une branche familiale coulanaise qui s’est illustrée par le passé en contrant les terreurs révolutionnaires, adeptes ensuite de la Restauration puis des folies de l’empereur (qui a d’ailleurs personnellement récompensé le curé du village d’une chasuble et de la croix militaire, celle dite des braves) que fait donc Gustave avec les communards en 1871 ?
Gustave serait-il un camarade ?!
De Paris, les ouvriers du chemin de fer ont propagés les idées de la commune auprès des 10000 ouvriers horlogers de Besançon qui, à leur tour côtoient ceux des montagnes du Doubs.
On entend déjà dire, par-ci par là, de la bouche de cultivateurs: « que la terre est un instrument de travail, qu'elle doit appartenir à ceux qui la cultivent, qu'en 1793 les bourgeois ont acquis à vil prix les propriétés des nobles et que le cultivateur doit avoir son tour ! ».
Gustave est originaire d'une famille de la petite bourgeoisie paysanne dont l'aisance et les propriétés remontent à la révolution de 1789.
Ses parents misent sur lui un budget de futur polytechnicien mais Gustave est un cancre à l'école et finira sa vie à peine lettré.
Les casseurs de pierres et L'enterrement sont deux tableaux qui soulèveront de tels scandales qu'en retour, Gustave acquerra une conscience politique.
Il voulait peindre une évidence rencontrée en promenade au cours d'une de ses chasses aux paysages mais s'est attiré les foudres de son pays d'Ornans et de toute la nation bien-pensante.
Pourtant, Gustave n'est pas un révolutionnaire, c'est un artiste d'abord, socialement révolté tout au plus.
Pour lui, la gloire des armes est une imbécillité, la glorification des meneurs d'hommes qu'ils soient couronnés ou galonnés est criminel, ce qui n'est pas suffisant pour faire de lui un porteur de drapeau rouge ou même noir.
Gustave est un artiste au cœur immense, l'idée du socialisme ne fait pas de lui un communard, de Marx ou Engels, il ne connaissait même pas les noms.
Si c'est le maître du réalisme, il s'oppose de fait aux idéologies.
Au finir de la guerre franco-prussienne de 1870, Paris subit un siège affamant de 4 mois.
Le 4 septembre, le dernier empereur Napoléon III est renversé.
Pendant que l'armée vaincue gère l'armistice, une partie du peuple de Paris décrète l'autogestion de la commune libre de Paris le 18 mars 1871.
Gustave est parisien depuis longtemps, très en vue dans les milieux artistiques non conventionnels, il est élu du sixième arrondissement lors d'élections partielles.
Le 5 avril 1871, il réunit 400 artistes, structure la vie culturelle parisienne comme un ministère et crée la fédération des artistes dont le but est : ''la libre expansion de l'art, dégagée de toute tutelle gouvernementale et de tous privilèges''.
Depuis Paris, il veut répandre l'art en l'affichant jusqu'aux mairies des plus petites communes de France, propose de transformer les casernes devenues inutiles en écoles d'art.
Dans l'immédiat, c'est en dirigeant des artistes et protecteur de l'art qu'il fait blinder les chefs d’œuvres parisiens pour les protéger des canonnades, qu'il fait mettre à l’abri le contenu des musées.
Lorsque les artistes parisiens crées une compagnie de combattants du front, Gustave répond à Jules Vallès (lui apprenant qu'il va falloir savoir mourir) qu'il est fou...
Gustave n'a jamais eu conscience des contradictions de classe que les internationales naissantes dénoncent.
Cette réalité-là lui échappe et l'expérience de la commune libre se solde, deux mois plus tard, par une semaine de massacres de la part de l'armée aidée des prussiens.
C'en est fini des communards mais Gustave qui était toujours sur son nuage n'a rien vu venir.
Point de Courbet vent debout contre ces accusateurs du conseil de guerre du 14 août qui entend pourtant bien faire de lui un exemple dans la nouvelle répression.
L'anecdote du déboulonnage de la colonne Vendôme n'est donc qu'un prétexte juridique.
C'est un Courbet qui n'est pas franchement à la bonne place lorsqu'il arrive à la barre.
Son séjour en prison, d'où il écrit sa défense, mais surtout ses désillusions l'ont anéantis.
Sous les insultes de la presse, il ne se renie pas mais reconnaît seulement son rôle en tant qu'artiste concernant la colonne.
Laissons-le se défendre : (en respectant son orthographe et son style...)
« En 48 jetais comme aujourd'hui républicain socialiste, et avec ce même tempérament, je fis tête à l'empire, et échec a l'art qu'il protegait et preconisait, je lui opposai l'art libre et non privilegié.
Il est trop facile de faire l'homme d'ordre pour avoir l'occasion de deserter son poste a lheure du danger.
(On) me dit je ne pense pas comme la commune, mais quoiquil arrive je mourrai dans le louvre, je mourrai a mon poste.
Dix hommes de plus animés de mon esprit auraient pu regler la question, et dans ce cas il y aurait eu une solution possible entre paris et versailles.
En allant a la commune je nourissais encore une secrete pensée, je ne crois pas qu'aucune idée ou oppinion politique peut valoir la mort.
Et que je croyais en outre que pour faire une revolution sociale, il n'était pas besoin de faire aucune violence ni aucune exaction de quel ordre que ce soit.
Du reste javais compris l'inanité des decrets de cette chambre et leur incompetence dans la revolution moderne et pacifique.
Du reste je ny pouvais plus tenir jetais surchargé de besogne et de commission, a n'en plus finir cetait a devenir fou.
Je ne voulais ni honneur ni emploi, preferant faire ma peinture.
Me voilà d'un seul coup membre de la Commune maire de mon arrondissement, donnant audiance a 60 personnes par jour.
Moi qui par ma nature d'artiste n'ai aucun ordre pour moi même, et qui suis par le fait l'antipode de l'autoritaire, je m'en souviendrai longtemps.
Heureusement que tous les (anciens) conservateurs des musées avaient été conservés a leur place,
car autrement chacun aurait deja agi comme le conseil municipal d'Ornans qui décida que la statue que javais donnée a cette ville serait retirée de la fontaine ou elle est.
Il est a remarquer que ces beotiens (rustres) n'ont jamais vu de leur vie ni sculture ni peinture mais cest ainsi.
(à Paris) chacun alla a sa tête comme dans la guerre civil.
Il ny avait plus rien a faire le desespoir commencait, l'ivresse du carnage et de la destruction s'empara de ce peuple d'ordinaire si doux, mourir pour mourir criaient les hommes les femmes et les enfants, mais nous nirons pas a Caïenne.
Ne voulant pas quitter paris affin de rendre compte un jour de mes efforts pour prevenir ces desastres, je me refugiai chez un ancien ami pour ne rien voir de ces horreurs aux quelles javais deja assisté en juin (1848) et qui avaient atristé mon existence pendant 20 ans.
Gustave Courbet ».
Un Félix Pyat revendique pour lui seul l'honneur de la destruction de la colonne et Gustave ne sera que condamné légèrement.
Ayant purgé sa peine, il retourne à Ornans où l'accueil est plus que froid.
Les campagnes de presse s'acharnent contre lui et sa santé chancelante, et c'est ici qu'un nouveau procès s'ouvre.
On tente alors de lui faire payer la reconstruction de la colonne.
Ses biens sont saisis dans l'attente du paiement de 500 000 francs !
Il s'exilera difficilement en Suisse où il finira par brûler 60 tableaux terminés et signés :
« J'en ai assez ».
Autour de son cercueil, les communards rescapés du massacre diront :
« La colonne perd son otage... On lui reproche d'avoir planté son chevalet au milieu des barricades... Son pinceau dérange la tranquillité ou la servilité des lécheurs de tableaux, des lécheurs de ministres... Il a entendu battre comme des coups de canon le cœur d'un peuple... Sous un ciel qui ce soir, embrasé par le soleil couchant, s'étendra sur la maison du mort comme un grand drapeau rouge ». 
 
 
Sources : Petite histoire de la famille Bordy (J.Mace et J.Bordy, 1991)
                 Bulletin de l’Institut d’Histoire sociale (N°30, 1960)
                 La Haute-Loue. (R.Chapuis, 1968 )
                 Indications de Pascal Reilé.

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