Les terres incultes ou inhabitées n'ont pas d'intérêts pécuniaires pour le seigneur.
Peupler sa seigneurie est l'objectif fondamental des lois qu'il met en place car chaque manant supplémentaire augmente d'autant les impôts prélevés.
Le four, le moulin, le pont sont obligatoires à utiliser parce qu'ils sont payants.
Pour le manant, son seigneur est indispensable pour sa protection policière.
Pour le seigneur, le soutien d'un grand, l'est tout aussi pour sa protection militaire.
Ainsi le grand seigneur (le suzerain) cherche à vassaliser un maximum de petits.
Le rapport de subordination était fixé lors de la cérémonie de l'hommage où le petit jurait de rester ''son homme'' au grand.
L'affaire est bonne pour le petit vassal car le grand suzerain délègue ses prérogatives sur le fief concédé contre l'obligation de prendre les armes en cas de coup dur.
Le tabellion (notaire) de Refranche tenait à jour d'une façon précise les biens que le vassal tenait en fief : maisons, terres, bois, prés, rivières ainsi que la liste des hommes ''taillables et justiciables''.
« Le seigneur enferme ses manants, comme sous portes et gonds, du ciel à la terre.
Tout est à lui, forêt chenue, oiseau dans l'air, poisson dans l'eau, bête au buisson, l'homme qui vient (le droit d'aubaine piège le voyageur), l'onde qui coule, la cloche dont le son au loin roule... »
Le pauvre coulanais se fait un peu plus ''taillé'' lorsque le vassal crée un arrière-fief car il voit s'empiler sur sa tête un sous-vassal de plus.
Pour attirer la population (qui a une fâcheuse tendance à fuir), un premier grand changement s'opère pour les manants lorsque de simples cerfs, ils signent avec le seigneur un ''bail à cens'', devenant locataire à vie plutôt qu'esclave.
Le gueux lui paye désormais une rente fixe ( ''le cens'' sera une partie des récoltes) pour son droit de fermage et se libère enfin des excès quotidiens des maîtres.
Il y a héritage mais avec la taxe du droit de ''lods''.
Nos besogneux villageois ont dû s'affranchir avec ceux d'Eternoz grâce à Jean et Pierre d'Esterno en 1425, mais leur ''charte d'affranchissement'' ne fait pas d'eux des propriétaires pour autant car si ils quittent le domaine, ce sera les mains vides.
À la mort du père, la famille de coulanais restera dans la maison et exploitera les terres si toute la descendance reste aussi.
Sinon, le seigneur récupère tous ses biens, c'est le droit de ''main-morte''.
Comme si la main du paysan ne pourra jamais rien signer chez le tabellion.
On dit qu'autrefois, lorsqu'un serf décédait sans laisser d'objets mobiliers dont les agents fiscaux puissent s'emparer, qu'on coupait la main droite du mort pour la présenter au seigneur en témoignage de ses droits sur le misérable.
Cette disposition force donc les couples à fonder famille, à avoir surtout des enfants, et c'est tout l'intérêt pour le seigneur, mais pour l'habitant, propriétaire de rien, ce fut vite sa nouvelle misère.
Ainsi, les coulanais sont affranchis depuis plus longtemps qu'on ne l'imagine.
Jean et Hugues de Chalon donnent l'exemple dès 1248 en affranchissant les
montagnons de leurs domaines, si Coulans ne rempilait pas pour deux cent ans de
vassalité de la famille d'Esterno, cette charte aurait pu être :
« Nos Jehan et Hugues, sires de Salins, faisons à savoir à toz ces qui verrunt cestes présentes lettres, avons concédés de nostre bone volentey, reguardans et considérans le grant profit de nous et de noz hoirs, ès hommes et habitans de Colans, usoient de la vray, pure, légitime et perpétuelle liberté, ordinons frainchise et estat de libertey, pour noz hoirs. La cense à nous dehue, s'elle a esté retenue par an, mais s'il délaisse de paier la dite cense par deux ans, il pert la terre, et le seigneur en peut et doit faire sa volonté. Nous ne porrons ne devrons prendre, ne faire prendre buef, vaiches, chestruns, gélines oyes ne chapons, blef ne vyns de nozdiz habitanz desdiz luex se ce n'estoit pour paiant l'argent à lour que lesdictes chouses vadroient, et que ce fust de lour volentez. Quicunque, en la dite ville de Colans, à aucun aura fait injure et effusion de sang et énorme blessure, le dit nous devra soixante solz. Nunl ne peult avoir fourt en la maison mès que le seigneur. Ceulz qu'i gasteront les foins des champs, vignes, prez ou arbres ou qu'il aura délaissié sa famille, qu'ilz soyent pugnis. Soubz nostre sèrement, promectons ès habitants de Colans perfaicte paix et seurre, tant des personnes que de leurs chouses, jurant sur le saint éwangile de Dieu. »
I - Pages d'histoire
La Franche-Comté ( l'ancienne Haute-Bourgogne ) est administrée par Marguerite d'Autriche et son neveu Charles Quint la gouverne par l'épée, mais aussi le livre...
Les premiers livres imprimés (incunables) sont fabriqués à cette époque.
La bible fut ainsi éditée (pour la première fois en série) à Lyon en 1497.
Un exemplaire (en caractère gothique avec grandes lettres de vermillons et de noir)
se retrouve en 1527 dans la poche d'un illustre personnage (un lettré) qui assiste
à la bénédiction de l'autel de l'église du village cette année là.
Il se nomme Vauchier (ou Vaulchier), il est d'une famille anoblie onze ans plutôt
par Charles Quint pour ''fidélité constante et services agréables''.
''Sans lui nous serions que des jean-foutre'' dira ensuite Louis-Anne de Vaulchier.
Dans la famille, Désiré sera jurisconsulte à Lons-le-Saunier puis lieutenant de bailli.
Comme ses trois frères (Jean, Jean et Pierre), il est originaire du Doubs,
de descendance germanique et a grandi près de Saint-Claude.
Pierre est nommé capitaine et châtelain de la place forte de Joux en 1505.
L'un des quatre est chirurgien de notre archiduchesse Marguerite à partir de 1512
puis garde de l'hôtel du roi à Bruxelles en 1555.
C'est l'un d'eux qui se trouve ici le mardi de Noël, jour du Caresmentrans d'Advens
(carême de décembre au XVI ième siècle) qui s'orthographie ici:
Karesmantrant, (entré en carême).
Date importante pour les paysans du village qui doivent offrir à leur seigneur
''la grand altez de Collan'', (Dame de Montmahoux ou Famille de Scey à cette époque) une poule (la geline de caresmentrant) ou l'équivalent en argent ce jour-là.
Il immortalisera cette double cérémonie en inscrivant ( dans l'église de Coulans )
de sa main sur la dernière feuille de garde de sa précieuse bible l'annotation suivante :
« L'an mille cinq cens et ving et sept le mardi devant la nativitez de nostre dame fust benies la grand altez de Collan ensemble l'auter de la chapelle par le suffragant de monseigneur de Besançon (1).
Lequel at donnez perpetuis temporibz quarentes jours de vray pardon, à sçavoir led. Mardi devant la nativiter le jour de Noël la circuncicion apparicion résuretion pentecostes festes dieu tous les festes de notre dame sanctes crox et la caresme A une chascune personne que dira ung pater noster et ung ave maria en priant dieu pour les trespassés Item le jour sainct sebastein et sainct nycholas.
Cest je certiffie estre vray Vauchier Karesmentrant ».
(1) L'office de suffragant, ou évêque auxiliaire du siège métropolitain de Besançon était occupé, en 1527, par le religieux dominicain Pierre Tassard, évêque de Chrysopolis (nom donné à Besançon).
En 1581, Bénigne Sambin peint l'adoration des bergers, ce tableau est une commande pour l'église où il s'expose toujours.
Bénigne est le fils de Hugues Sambin, l'architecte (également ingénieur et sculpteur) qui fortifiera dix ans plus tard la ville de Salins pour résister aux français.
Le don à l'église marque sa dévotion et protège de la peste.
Le fameux donateur est fort malheureusement tombé dans l'anonymat.
Mais quelques spéculations farfelues permettent à l'enquête de continuer ...
La riche famille Vaulchier (un titre de noblesse se monnaie jusqu'à cent écus d'or au soleil) va s'unir avec la famille Simon, ainsi en 1595 un Simon-Vaulchier est membre de l'assemblée des notables de Poligny.
On sait, par annotation manuscrite également sur ce même exemplaire de la bible,
que ce livre va appartenir en 1588 à Pierre Doroz (religieux bénédictin, administrateur de la bibliothèque à Saint-Vincent de Besançon) dont la famille est aussi de Poligny.
Il est probable que le premier des Vauchier-Simon soit le donateur, sans doute mis à contribution par la famille Simon lors de ses prétentions nuptiales...
Et comme il est fréquent qu'un donateur prête ses propres traits pour se glisser dans la peau d'un des personnages figés par la main de l'artiste,
il est aisé de le reconnaître à la droite du tableau, les bras chargés de dons,
nous regardant dans les yeux.
Peindre des bergers à la place de Rois-mages est une nouveauté artistique de l'époque mais notre fier donateur préfère rester habillé.
Le clin d’œil que ce coulanais vous destine a traversé plus de quatre siècles !
En réalité, il serait simplement probable que ce tableau ait trouvé tardivement refuge dans l'église suite à l'abandon de son lieu d'origine (Migette, Saint-loup ?).
Le 8 avril 1793, lors de l'inventaire de l'ermitage de Saint-Loup en vue de sa vente aux Montrichard de Malans, l'administrateur du district de Quingey note: "Il s'y trouve dans cette sacristie cinq vieux tableaux, rentrés ensuite dans la chapelle, il s'y trouve de même six vieux tableaux".
avant restauration.
Annotations sur l'incunable.
«C'est de la Séquanie qu'arrivent sur le marché de Rome les meilleures salaisons», relate Varron au tout début de notre aire car le sel de Salins est déjà utilisé depuis
des millénaires.
César nous dira : «l'homme peut vivre sans or, mais il ne peut pas vivre sans sel».
Cet or blanc constitue la véritable source de toutes les installations humaines successives localement mais il va de paire avec l'exploitation forestière.
Vers la flèche du plateau forestier de Coulans, la ruine d'une ancienne bâtisse et
ses chemins d'accès bordés de murets attestent encore de l'implantation d'un groupe de forestiers sédentaires car les salines dévorent plus de 10 000 tonnes de bois chaque année..
La saunerie de Salins délimitait des parcelles d'exploitation du bois (fassures) où l'exploitant forestier (le fasseur) réglementait les coupes de son groupe de bûcherons.
La bûche (fassine) doit être de la grosseur du bras et longue de 90 cm, on coupe les bois plus fins en bout de 1,80m (chevasses), on coupe à blanc...
Le fagot calibré (fassin) se construit autour d'une pique pour facilité son transport.
Une voiture de 40 fassins de 25 fassines se paie 2 sols et 3 deniers à l'entrée des salines pour un particulier mais seulement 15 deniers pour les bois de fassures.
Comme le transport est non-compris dans le prix, pour le charretier de Coulans c'est pareil...
Les coulanais maîtrisent toutes ces techniques et signent des marchés comme celui d'Alaise où le 31 mars 1527 un contrat de deux ans portant sur deux cent mille fassins et chevasses livrés à Salins sera signé !
Ainsi nombre de paysans propriétaires d'animaux de trait, attelages et chariots
assurent le transport du bois aux salines par d'incessants convois qui détériorent
les routes plus vite que les salines ne peuvent les entretenir.
Les charretiers ont un droit de pâture pendant le chargement, on retrouve aujourd'hui au bois du Curon les traces d'un ancien champs clos.
Si les habitants des alentours sont contraints (chaque paysan ayant char et attelage doit deux à quatre charrois-corvées par an) , la rémunération reste intéressante.
Lors des travaux aux champs, le prix du bois se met à doubler à cause du manque de charretiers, (le charroi mobilise 228 chariots et 588 chevaux en 1573).
Salins interdit l'existence de toute autre usine consommatrice de bois à proximité de la ville.
Dans l'autre sens, chaque village recevait des salines leur sel d'ordinaire pris parmi
les 7500 tonnes produites par an.
Un charretier désigné descendait à Salins présenter son billet de mission pour acheter le sel dont le prix était fonction de la distance parcourue.
Douze pains de sel (salignons) sont empilés entre deux montants de bois pris dans
une tresse de baguettes de tilleul et forment ainsi une bénate.
De chaque côté du bât d'un cheval ou d'un mulet on fixe deux bénates, soit 48 salignons au total pour 65 kg de charge encombrante et fragile.
Le sel en grains (exclusivement pour la Suisse) se conditionne en tonneaux.
Il revenait au village avec un nouveau billet stipulant la quantité rapportée, la comparaison des deux billets permettait de s'assurer de son honnêteté pour lui fixer d'autres missions.
Sur les chemins, les chariots de bois croisaient les troupes d'ânes et leurs
charrettes de sel.
En 1650, c'est 6500 chevaux ( soit plus de 100000 voitures de bois par ans ! )
et 320 mulets qui circulent...
«Nous eûmes mille maux de passer à travers les troupes d'ânes qui, à chaque pas, obstruaient le chemin. Plusieurs fois même, il fallut nous blottir dans quelques enfoncements hors de la route, pour laisser défiler ces singuliers escadrons, dont
quelques-uns comptaient 80 oreilles et des plus longues. Les gens condamnés à voiturer tout le bois nécessaire aux salines se vengent en encombrant avec leurs charrettes toutes les voies qui y conduisent (1667).»
Pour son commerce, les chemins sauniers sont surveillés et obligatoires.
Les écussons d'argent aux armes du duc ornent les vêtements des forestiers qui en plus d'un salaire de 100 sols (estevenants de l’archevêché bisontin) s'ajoute une part des amendes qu'ils distribuent.
Ils sont craints, très durs et forcent les maisons si besoin ...
Le cadastre actuel de la commune de Salins montre encore aujourd'hui ses voies protégées qui lui donne cette forme tentaculaire.
Ces commerces profitent aux voituriers, muletiers ainsi qu'à l'aubergiste de Coulans placé sur l'itinéraire bis...
Le prix du sel augmente le long du trajet à chacun des péages voués aux seigneurs correspondants aux lieux traversés.
Ces péages, comme celui du pont de Nans, permettent aussi de pister le marchand
et surtaxer le sel étranger.
La fraude et la contrebande comtoises sont légion, la valeur du sel attire sur les chemins des groupes de bandits armés.
L'Edit royal de 1703 déclare ''faux-sel'' tous les sels autres que celui de Salins.
Mais les faux-sauniers agissent en bande organisées militairement.
En 1754 on signale à la frontière, une bande de plus de 80 bandits armés de mousquets et traînant trois fauconneaux (des canons!).
Les contrebandiers importent du sel de mer via la Suisse et bénéficient surtout du soutien des populations locales qui trouvent intérêt à frauder l'impôt.
Les chefs de bandes avaient l'air de vrais seigneurs armés et montés, le plus petit service rendu à leur coupables activités était récompensé généreusement...
Les villageois ignorent donc officiellement leur planque (quand ce n'est pas une discrète hospitalité) et commercent en réalité avec eux ...
Les circuits liés aux vols s'organisent depuis l'enceinte même des salines qui sont pourtant dotées d'une prison où le récidiviste est marqué GAL au fer rouge avant son envoi aux galères.
Le sel de Salins fut pour Coulans sa richesse et sa misère...
«C'est à Salins qu'on fabrique, pour nos usages de tous les jours, ce sel condensé par le feu, d'une blancheur éclatante, et qui, emporté par d'immenses chariots, dans les pays lointains, constitue le plus beau revenu pour notre Bourgogne»
(Gilbert Cousin 1552).
ruines actuelles
La fassure.